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Lorsque la photograph(i)e s’agite: Rencontre avec Zhong Baomei

by Jean Castorini / 7/10/2019

En cette après-midi de début d’automne, le ‘Three Shadows Photography’ tient sa nouvelle édition de sa foire de la photographie. Ce haut lieu de la photographie à Pékin a pour but de stimuler la création et l’éducation photographique dans la capitale chinoise. Situé dans le district de Chaoyang, au nord-est de Pékin, l’institution, une des majeures en Chine pour la photographie, accueille cette année une quinzaine de photographes venu des quatre coins de la Chine pour y exposer leur travail. Trois jours intenses pour découvrir des talents émergents ainsi que pour assister à des discussions et projections cinématographiques diverses. Est présent parmi le public Rong Rong le fondateur de l’institution, en collaboration avec sa femme Inri. À une période où la majorité des personnes avec un appareil photo travaillaient pour les magazines d’états, Rong Rong photographia dans les années 1990 la vie des artistes avant-gardiste du East village, quartier où il résidait en personne. Au lendemain des répressions de Tienanmen, cette effervescence artistique expérimentale a disparu peu d’années plus tard. Le studio de l’artiste et dissident chinois Ai Weiwei, un des pionniers du East village à Pékin, a désormais lui aussi disparu, après avoir été détruit il y a un an par la municipalité. Les vestiges de cette période sont désormais les quelques rares galeries d’arts du quartier de Caochangdi ainsi que le ‘Three Shadows’ plus récemment crée en 2007 et construit par Ai Weiwei suite au projet de son ami Rong Rong et sa femme Inri. Je profite de cette manifestation photographique pour rencontrer Zhong Baomei (宝妹) dont les photographies aux tons vifs et aux compositions provocatrices ont attiré mon regard dès ma première visite à la galerie. Lorsque je la contacte ce dimanche matin Baomei me répond avec surprise par message: « Pourquoi donc m’interviewer moi ? » comme s’il n’y avait pas sujet à écrire sur elle.

Son anticonformisme, son œil alerte, ainsi que ses influences surréalistes photographiques m’ont encouragé à écrire son portrait. Son habituel bonnet en laine blanc cache un visage rond aux sourires désintéressés et aux fréquentes grimaces enfantines qui vous expriment, dès la première rencontre, jovialité et sympathie. La rencontrer, ne serait-ce que quelques instants, vous donne l’impression qu’elle vit au rythme de l’obturateur de son appareil photo. Dynamique et fringante Baomei photographie constamment, alternant entre son Polaroid, son téléphone ou encore son Hasselblad.

Né dans le sud de la Chine, dans la ville portuaire de 湛江 (Zhangjiang, province du Guangdong) en 1991, Zhong Baomei n’avait jusqu’à peu aucune prédilection pour la photographie. En 2014, elle finit l’université diplômée en tourisme, sans aucun intérêt alors pour la photographie. Une année de travail au sein de l’industrie hôtelière lui suffit pour la convaincre de renoncer à ce futur. Elle rompît aussitôt son contrat et se paya avec son salaire son premier appareil photo, un modeste reflex Olympus. Cet achat coûteux lui permit de s’initier en autodidacte à la photographie. Métier duquel elle vit désormais, tout en enseignant la photographie à deux élèves. Une fois son salaire en poche, déterminée à abandonner l’industrie hôtelière et poursuivre son désir de voyager le monde, Baomei pérégrina seule la China durant trois ans. C’est durant ses voyages prolongés au Xinjiang et dans la province du Qinghai, ainsi que dans d’autres régions chinoises éloignées que Baomei développa son langage visuel poétique et éclectique. Après trois ans d’errance avec peu d’argent séjournant dans les auberges de jeunesses du pays, Baomei décida finalement il y a un an, fatiguée de ne pas avoir de point de repère, de s’installer à Shanghai. Ville riche en galeries d’arts où abondent les demandent en portraits et commandes éditoriales. C’est dans son studio installé dans son appartement qu’elle passe le plus clair de son temps à expérimenter, à « s’amuser » dit-elle. Baomei se félicite d’avoir d’ores et déjà photographié plus de cent modèles en moins de quatre ans, pour la plupart des femmes. C’est pour dire si son début de carrière est prolifique autant est-il varié. Baomei m’explique qu’elle rencontre la plupart de ses modèles durant ses voyages en solitaire. Bien que la plupart des ses modèles à Shanghai comptent comme amis, les modèles qu’elle photographie durant ses voyages sont pour la plupart des rencontres éphémères intenses.

« Le photographe et réalisateur d’avant-garde japonais Eiko Hosoe m’a beaucoup inspiré » - Zhong Beomei

Son récent voyage au Vietnam où elle rencontra deux femmes taïwanaises la poussa, suite à leurs récits, à se rendre à Israël. Baomei s’aventura alors pour la première fois loin au dehors de son pays natal. Elle reconnait ne pas connaître grand-chose à l’histoire du pays ni même avoir entendue parler de l’existence d’Israël avant sa rencontre au Vietnam. Son désir de voyager la pousse à y partir seule trois semaines. À son retour Baomei publie son premier projet photographique intitulé ‘Living the Dream‘, réalisé en argentique et digital. Ce livre, qu’elle publie alors seule, comme le font la plupart des photographes en Chine, est le récit de ses errances de Jérusalem jusqu’à Tel Aviv.

Lorsque je l’interroge à propos de ses influences, Baomei semble aux premiers abords ne pas comprendre ma question. «Mes influences photographiques ?» Aucunes influences chinoises d’après elle. Bien que son style photographique aux couleurs éclatantes et aux compositions soignées me rappelle certaines des célèbres photographies du chinois Ren Hang, décédé en 2017, alors âgé de quatre ans de plus que Baomei, le nom ne lui évoque rien. Peut être est-ce mon erreur de prononciation. « Le photographe et réalisateur d’avant-garde japonais Eiko Hosoe m’a beaucoup inspiré » ainsi que Man Ray me confie plutôt Baomei. Le style macabre plongeant les photographies de Hosoe dans les ténèbres de la psychologie humaine se retrouve métamorphosé dans les photographies de Baomei. La photographies de l’artiste de 28 ans est riche d’autoportraits. Déguisé ou se cachant, Baomei ne révèle pas seulement la beauté qu’elle trouve dans les visages des personnes qu’elle rencontre, elle se réinvente elle-même. Comme le voyage qui pour certains permet de questionner son identité, les autoportraits sont pour Baomei un moyen de se s’interroger à travers la réflexivité de l’objectif. Utilisant autant de masque dans ses photographies que d’artifices trouvés sur son chemin, l’influence de Man Ray est, autant que celle de Eiko Hosoe, palpable.

Lorsque je demande à Baomei quels sont ses espoirs pour le futur, elle me répond d’un air espiègle et rieur : « que les personnes achètent mes photographies ». La photographe chinoise espère bien continuer de voyager à travers le monde. Contemplant son travail exposé aujourd’hui sur le mur de la galerie, tel une dense fresque murale, je me dit que celui-ci ne peut être que prometteur.

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