Diao Yi'nan, réalisateur notamment de Black Coal (Ours d’Or à la Berlinale de 2014), revendique dans son cinéma une certaine forme de formalisme. L’usage de ce terme n’est ici pas péjoratif - mais il semble approprié pour décrire l’évolution de l’œuvre de ce cinéaste qui commence à s’imposer comme une des références du cinéma chinois de cette décennie. Le Lac aux Oies Sauvages, polar nocturne contant la cavale, dans la région de Wuhan, d’un chef de gang de voleurs de moto, et sa relation avec une prostituée, réuni tous les codes d’un style de film chinois qui tend à devenir un genre à part entière : le film noir tourné de nuit, dans une ville moyenne de province, dans un décor hypnotique de néons et d'échoppes douteuses.
Néanmoins, même en obéissant aux règles esthétiques et narratives du genre, Diao Yi’nan et son équipe parviennent à présenter un film surprenant. Sa force est visuelle: la photographie est d’une qualité rare, sublimant l’onirisme, voire le surréalisme de certaines scènes (une séquence de poursuite dans un zoo est particulièrement marquante). Elle porte et étire un scénario plutôt mince et classique. Ainsi, Diao Yi’nan démontre une certaine qualité à mettre le scénario au service de la mise en scène, plutôt que l’inverse: tout, au sein de l’intrigue, semble être un prétexte pour une nouvelle étrangeté visuelle plutôt qu’un rebondissement narratif cohérent. Mais, contrairement à la majorité des productions adoptant ce choix artistique, cela ne dessert pas le film; ça le rend au contraire plus fascinant.
D’abord, parce que l’histoire n’est pas dénuée de messages, et d'éléments symboliques: c’est une réflexion sur la lutte entre les sexes en Chine, « l’hypersurveillance », la paupérisation. L’effet hypnotique du film est renforcé par une excellente direction d’acteurs. Le personnage de Zhou Zenong, chef de gang recherché après avoir tué un policier, semble s’admettre vaincu dès le début du film. Le Lac aux Oies Sauvages est l’histoire d’une fuite en avant désespérée, et il est difficile de ne pas y voir un hommage aux films noirs occidentaux des années 1950. D’ailleurs, Diao Yi’nan ne cache pas son admiration pour les films de la Nouvelle Vague française, citant régulièrement cette dernière comme source d’influence.
Il est aussi impossible d’ignorer le poids de la censure gouvernementale qui pèse sur les productions chinoises. Les réalisateurs, pour exister, doivent trouver un consensus avec les autorités, ou s’exiler. Diao Yi’nan a choisi la première option; alors, n’espérez pas voir un film explicitement politique. Les enjeux financiers autour du film, qui bénéficie d’un assez gros budget, interdisent le moindre faux-pas. Pourtant, le regard que le film porte sur la Chine contemporaine n’est pas neutre. Les eaux du Lac aux Oies Sauvages sont suffisamment troubles pour que des bandes de bandits, voleurs, proxénètes, n’aient d’autres choix que d’y prospérer.